« JÉRUSALEM, ATHÈNES & ROME »

« Pour Paul Valéry, il y a Europe là où les influences de Rome sur l’administration, de la Grèce sur la pensée, du christianisme sur la vie intérieure se font sentir toutes les trois. Giorgio La Pira identifiait de son côté les trois pierres sur lesquelles l’Europe se construisait : juridique (Rome), métaphysique (Athènes), prophétique (Jérusalem). Pour Benoît XVI, « la culture de l’Europe est née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome – de la rencontre entre la foi au dieu d’Israël, la raison philosophique des Grecs et la pensée juridique de Rome ».

À partir de Jérusalem, ville centrale de la vie du Christ, où il est monté au Temple, où il a enseigné, où il a été arrêté, où se sont déroulées la Passion et la Crucifixion, où il a été enseveli et où a eu lieu la Résurrection, le christianisme s’est répandu dans tout l’Empire romain. C’est de Jérusalem que l’Europe tient son histoire sainte chrétienne, mais la ville du Christ est également la ville sainte des Juifs qui ont tant apporté à la civilisation européenne avec la diaspora et après la destruction du Temple en 70 de notre ère. Les regards des croyants européens convergent vers Jérusalem : les synagogues s’inspirent du Temple et les chœurs des églises sont orientés vers l’est, c’est-à-dire vers la ville sainte par excellence. Vers elle convergent les pèlerins. De nombreuses églises et sanctuaires sont fiers de conserver des reliques prélevées là où le Christ a vécu et a été crucifié, à l’instar de la Sainte-Chapelle, à Paris, pensée et construite entre 1241 et 1248 comme un reliquaire pour abriter la Couronne d’épines et un morceau de la Vraie Croix.

La Grèce a inventé le mythe d’Europe avec une jeune princesse enlevée par Zeus. Avec Athènes, le christianisme a rencontré la pensée, Socrate, Platon, Aristote. Saint Paul arrivant à Athènes, annonce : « J’ai même trouvé chez vous un autel portant cette inscription : À un Dieu inconnu. Eh bien ! Ce que vous adorez sans le connaître, c’est ce que je viens, moi, vous annoncer » (Actes 17, 23). Il entame alors une confrontation entre le christianisme et le paganisme, et il ouvre la voie à un dialogue puissant entre la philosophie antique et le monothéisme chrétien. La plupart des Pères de l’Église, qui ont posé les fondements de la doctrine chrétienne étaient grecs, d’Ignace d’Antioche à Clément d’Alexandrie ou à Jean Chrysostome. Aristote a été introduit dans la pensée chrétienne par Thomas d’Aquin, mais en passant par les penseurs musulmans Avicenne et Averroès. À travers sa Politique, l’Europe a forgé sa conception du bien public, en s’appuyant aussi sur Cicéron, très présent chez les Pères latins.

Rome apporte la rigueur et le droit, comme l’a montré le grand juriste italien Biondo Biondi dans son œuvre monumentale sur le droit romain chrétien. L’Europe est la terre du droit, cela la distingue des autres continents. Selon Pierre Legendre, l’interpénétration du droit hérité de Rome et du droit de l’Église, le droit canon forgé par le décret de Gratien au milieu du XIIe siècle, s’est faite d’une manière complémentaire. En se christianisant, le monde antique a donné à l’Europe le concept grec de cité, fondé sur l’agora athénienne, et l’idée romaine de république, de res publica, qui caractérisent la culture européenne.

Rome, « cette Rome dont le Christ est romain » (Dante), là d’où le pape prononce la bénédiction Urbi et Orbi, Rome est devenue la capitale de la catholicité, but du pèlerinage aux tombeaux des apôtres Pierre et Paul, à ceux des premiers chrétiens (catacombes) et auprès du pape. »

Extrait de l’étude de l’historien Jean-Dominique Durand, « Les apports du christianisme à l’unité de l’Europe », partie 4, parue en décembre 2018   https://www.fondapol.org/etude/les-apports-du-christianisme-a-lunite-de-leurope/

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                        Cette Europe n’est plus au goût du jour, elle n’a plus vraiment droit de cité, et cela semble irrémédiable ; aussi le catholique européen peut ultimement se poser la question de sa légitimité à s’intéresser à la vie de la cité ; ne doit-il pas au contraire s’en détacher, faisant sienne cette parole du Christ : « Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde » (Jean 17, 16) ?

Ou encore, celle de Saint Paul : « Nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ » (Philippiens 3, 20) ?

Bon mois de Marie, la Femme à la couronne à 12 étoiles (Apocalypse 12, 1).

P. Thierry
Angelus 05.2024